Jour AB1

 Archipel Butor

 

Résidence II 

Dominique Sampiero 

&

François Andes




Entretien du magazine de la fondation Archipel Butor de Dominique Sampiero et François Andes





Journal d’un butor étoilé et d’un traquet motteux à Archipel Butor

Vendredi 4 Novembre
Premier jour

Départ 9h05 Gare d’Aulnoye-Aymeries. François Andes et deux belles valises orangées. Je garde le volant comme on garde la chambre. Conduire me détend. Grandes conversations sur la vie, la mort, la famille. Le temps passe vite. François sait écouter. Il range ses mots derrière sa barbe et ses yeux
murmurent, bienvenue mon ami. Petites routes, autoroutes, Repas vite fait à Grill machin. Un filet de bœuf dur comme de la semelle mais de bonnes frites. On parle de mon cousin Alain Capelle, grand cuisinier de l’Avesnois et de ma future intronisation chez les Escoffier, histoire de penser à des jours meilleurs : trilogie de foie gras, ris de veau aux cèpes, tarte tatin.

Peu de voitures. Un trajet où s’alignent des kilomètres de confidence qui recouvrent doucement les vrais kilomètres, comme un vertige. Il pleut une sorte de grisaille anglaise. Les camions soulèvent des nuages de cascade. Au bout de la route, ciel ! La montagne, sertie de neige et de brumes. On dirait un à-plat sérigraphié dans le ciel.

Arrivée 17h20 Lucinges. Pneus sur cailloux. Grande grille. Jardin. Tonnelle en libellule d’acier rouge. Pluie rassurante. Douce, insistante, brouillée comme un murmure de source, transparence grandiloquente tombée en bruine toute la nuit.

Le carillon de l’église sonne avec retenue. Bonjour Monsieur Butor. Votre barbe est plus fournie que la mienne. Je n’ai jamais osé vous le dire mais elle donne de la tendresse et de la pétillance à vos yeux. Et puis sur la photo, vous parlez à Bernard Noël. Il habitait à une heure de chez moi. Je pense à lui. À la puissance envoûtante de sa voix. J’aurais tellement aimé vous serrer tous les deux dans mes bras. L’invisible palpite quand on lui parle, non ?

Grande maison de pierre, immense, trois étages. Escalier, escalier, escalier. Comme dans les pyramides, les lampes torches s’allument à notre passage. Chambre mansardée. Souvenir d’enfance. J’étouffe. J’ouvre la fenêtre pour dormir. Horreur du noir, le noir profond du sommeil éternel. Horreur des plafonds bas, utérins.



Par le petit Velux, l’air frais, immense de la montagne proche me sauve. Des cloches cristallines aussi, petit air de bol tibétain. Ça vient d’un clocher de Lucinges, pas loin. Le bureau de Butor à travers une porte fenêtre fermée à clé. J’espère bien y entrer. Affaire à suivre.

Cuisine efficace moderne. Un peu ascétique quand même. Manque un mixer plongeant pour la soupe et les mayonnaises, et à part des casseroles et des poêles, pas de faitout pour mijoter.

Premier repas : Vin tradition, Serge Depeyre. Escargots au beurre d’ail. Poulet basquaise acheté à Supermarché Aldi, 11mn en voiture, rue des Buchions, Annemasse. La caissière, debout derrière son comptoir, tape des mains et des pieds pour se réchauffer. « Je ne sais pas ce qui me retiens de grimper sur un escabeau pour appuyer sur les boutons qui règlent la clim, parce qu’ici, c’est : air froid en hiver et air chaud en été, non mais, c’est dingue non, mais bon, j’ai peur de tout dérégler… et surtout que ça bloque l’ouverture des portes automatiques pour l’entrée des clients, vous imaginez ! Mais bon, ça va, encore une demi- heure à tenir et j’ai fini ma journée. »


La nuit s’est emparée doucement de ma conscience jusqu’au bord du monde, là où les ombres jouent entre les ombres. J’ai entendu craquer les arbres et le plancher qui voulait parler aux arbres.


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